Smartphones : pourquoi vos enfants ont tant de mal à se déconnecter​

Avant même la pandémie, près des trois quarts des parents s’inquiétaient de l’usage que font leurs enfants de leurs téléphones mobiles et des effets néfastes de ces appareils sur eux et sur leurs relations familiales. Mais si les enfants ne parviennent pas à lâcher ces appareils, ce n’est ni vraiment leur faute ni celle de leurs parents. Chaque fois qu’un parent tente de persuader son enfant d’arrêter un jeu en ligne ou de mettre de côté son appareil, ce n’est pas tant à lui qu’il s’affronte qu’à l’invisible armée de spécialistes du comportement qui rendent les nouvelles technologies si addictives.

Les créateurs d’applications et de jeux s’appuient sur les connaissances d’experts en design persuasif, un champ d’études en psychologie dont l’objectif est de comprendre comment créer des technologies dont il est quasiment impossible de se passer.

Mais la prudence est de mise quand on s’adresse aux enfants, comme le psychologue Richard Freed et moi-même l’expliquons dans notre analyse des questions éthiques soulevées par le design persuasif ciblant les enfants et les adolescents.

Design persuasif

Pour faire simple, on peut dire que, pour altérer nos comportements, le design persuasif allie psychologie comportementale et technologie. Il est possible d’en résumer les principes à trois mécanismes clés qui, combinés, peuvent pousser quelqu’un à modifier son comportement : créer une forte motivation, réclamer peu d’efforts et inciter fréquemment l’utilisateur à pratiquer l’activité concernée.

Ces principes peuvent être utilisés à des fins productives et utiles, par exemple encourager les gens à marcher davantage ou manger davantage de fruits et légumes. Cependant, le design persuasif est couramment employé dans le but de leur faire passer davantage de temps sur une application ou un jeu. Ils sont ainsi exposés à davantage de publicités et sont plus susceptibles de faire des achats proposés dans le jeu, ce qui assure des revenus supplémentaires au créateur de l’application.

Les adultes sont eux aussi influencés par le design persuasif. C’est pourquoi ils passent des heures à regarder des séries en streaming, parcourir le fil d’actualité de leurs réseaux sociaux et jouer aux jeux vidéo.

Mais du fait de la plasticité de leur cerveau, les enfants sont particulièrement vulnérables aux stratégies du design persuasif. L’extrême excitation des enfants lorsqu’ils reçoivent des autocollants ou des cadeaux – réels ou virtuels – s’explique par le fait que le striatum ventral, le centre du plaisir dans le cerveau, est plus réactif à la dopamine, la molécule de la satisfaction, chez les enfants que chez les adultes.

Cette excitation pousse les enfants à répéter leur comportement pour éprouver à nouveau cette satisfaction, encore et encore. Dans un sondage de 2019 sur le temps passé par les adolescents sur les écrans, trois types d’utilisateurs intensifs ont émergé, tous influencés par le design persuasif : les utilisateurs des réseaux sociaux, les amateurs de jeux vidéo et ceux qui regardent des contenus en streaming.

Signaux sociaux d’acceptation

Les réseaux sociaux comme Instagram, Facebook, TikTok et Snapchat sont conçus pour maximiser les résultats du design persuasif. En proposant des boutons « j’aime » et des émoticônes en forme de cœur, ces sites permettent de recevoir des signaux sociaux d’acceptation et d’approbation, ce qui motive énormément les adolescents. Faire défiler les pages de ces sites requiert un effort minimal. Enfin, les applications sollicitent régulièrement l’attention des utilisateurs en les bombardant de notifications et d’invitations.

Snapchat, par exemple, encourage ses utilisateurs à envoyer des « snaps » au moins une fois toutes les 24 heures pour rester en mode Snapstreak (« Ça chauffe »). Par peur de manquer les réactions ou les mises à jour de leurs amis, les adolescents se connectent de plus en plus fréquemment) aux réseaux sociaux.

Questions d’éthique

En tant que chercheuse en psychologie, je m’inquiète de voir que des psychologues aident les concepteurs de technologies à mettre en application des principes psychologiques qui poussent les enfants et les adolescents à passer davantage de temps sur une application, un jeu ou un site Internet.

En parallèle, d’autres psychologues font des recherches sur les dangers liés à ces activités, y compris l’anxiété, la dépression, les troubles de l’attention et l’obésité. D’autres encore ont ouvert des centres de thérapie pour soigner les addictions aux jeux vidéo et autres troubles mentaux associés à un usage excessif et problématique des nouvelles technologies, comme l’anxiété et la dépression.

De mon point de vue, les principes d’un champ de recherche ne doivent pas à la fois engendrer un problème et œuvrer à le résoudre. L’American Psychological Association, la plus grande association professionnelle de psychologues des États-Unis, a un code d’éthique qui interdit à ses membres de nuire ou d’accepter tout travail allant à l’encontre du bien-être des personnes, et leur rappelle d’être particulièrement vigilants dans leurs interactions avec les jeunes, qui n’ont pas encore atteint leur pleine maturité.

J’estime donc que les psychologues ont l’obligation de protéger les enfants de l’influence de la technologie persuasive. Les chercheurs qui collaborent avec les concepteurs de réseaux sociaux et de jeux pensent peut-être qu’ils ne font qu’aider ces entreprises à créer des produits dynamiques et attrayants. Mais ils se voilent la face quant aux nombreux risques psychologiques qu’entraîne l’utilisation desdits produits.

Les parents et leurs enfants ont raison de s’inquiéter de la manière dont les jeux, les vidéos et les réseaux sociaux manipulent les jeunes esprits. Les psychologues pourraient faire l’effort de leur expliquer comment leur cerveau se développe, et comment le design persuasif exploite ce processus. Cela aiderait les familles à cesser de se disputer au sujet du temps passé sur les écrans et à prendre conscience que la plus grande menace ne vient pas des appareils électroniques en eux-mêmes, mais des entreprises qui conçoivent ces appareils et ces applications de manière à nous rendre dépendants.

 
Meghan Owenz, Assistant Teaching Professor of Rehabilitation and Human Services, Penn State.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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